IV
y fin del tocho
Et pour les Britanniques ? À l’été 41, les menaces sur le Proche-Orient ont été éloignées, puisque la révolte de Rachid ‘Ali al Gailani a été écrasée, que la Syrie de Vichy est passée aux mains des gaullistes et que les Etats Unis envoient du ravitaillement aux troupes de la VIIIème armée britannique par l’Afrique. Par ailleurs, l’Atlantique a une place essentielle car Londres reçoit l’aide américaine grâce à un système de relais américano-britannique pour les convois de ravitaillement. À certains égards, Malte a donc moins d’importance. Et il faut toute l’autorité de Churchill le 10 mai 1942 quand il envoie le télégramme suivant à Auchinlek qui commande au Proche Orient :
« Nous sommes résolus à empêcher la chute de Malte même au prix d’une bataille que livrerait toute votre armée afin de la conserver… La possession de Malte ouvrirait à l’ennemi une voie libre et sûre vers l’Afrique avec toutes les conséquences qui découleraient de ce fait. Sa perte couperait l’itinéraire aérien dont vous devrez dépendre, ainsi que l’Inde, pour une part importante de vos renforts aériens. En outre, cela compromettrait toute action offensive contre l’Italie et tout projet futur tels que « Acrobat » et « Gymnast » »
[Le projet Acrobat concerne l’avance britannique en Tripolitaine et le projet Gymnast est celui du débarquement en Afrique du nord] .
Rarement les Britanniques avaient été aussi clairvoyants. C'est précisément l'époque où les bombardements allemands et italiens neutralisent Malte ; c’est aussi le moment où l’Axe envisage sérieusement de prendre l’île. Mais compte tenu de la carte de la guerre, ils l’abandonnent en juillet 1942, à la demande de l’Allemagne qui considère toujours la Méditerranée comme secondaire.
De ce fait, Rommel épuisera ses réserves dans son avance vers El Alamein et manquera de blindés. Malte commencera de connaître un certain répit, tandis que les convois britanniques circuleront mieux. Le summum sera atteint quand l’immense armada qui vogue vers le Maghreb ne subira pas d’attaque et débarquera ses hommes, son matériel d’abord à Alger et Oran, ensuite au Maroc. Seule la Tunisie échappera aux Anglo-américains ; mais la guerre sur terre accaparera le meilleur des forces germano-italiennes.
En même temps que les Alliés prennent Tunis en mai 43, ils capturent des dizaines de milliers de soldats allemands et italiens, tandis que les navires partis de Malte arraisonnent les bateaux sur lesquels les Allemands et les Italiens tentent de gagner la Sicile et l’Italie.
A partir de la Tunisie, les alliés conquièrent la Sicile en juillet 43, en y envoyant des planeurs et des troupes aéroportées. Quelques semaines plus tard, (le 9 septembre), des soldats français aidés par la résistance locale libèrent la Corse des occupants allemands et italiens. C’est une menace évidente sur l’Italie centrale vers laquelle la Wehrmacht s’est repliée du sud de l’Italie vers les Apennins. Grâce au débarquement au Maghreb, à la conquête de la Tunisie et de la Sicile, la vie des Maltais retrouve une certaine quiétude ; les avions alliés dominent le ciel sans partage tandis que leurs navires peuvent circuler en Méditerranée sans craindre les attaques venues de Sardaigne ou de Sicile.
L’un des tout derniers épisodes dans lequel une île joue un rôle stratégique concerne l’Adriatique, avec l’île de Vis, à quelques kilomètres de la côte, que certains nomment Malte de l’Adriatique.
En effet, après que l’Italie eût capitulé en septembre 43, la Yougoslavie , l’Italie centrale et celle du nord occupées par l’Allemagne, demeurent les derniers bastions de l’armée allemande. En Yougoslavie, les partisans de Tito lui mènent la vie dure. Pour les Alliés, ravitailler les résistants exige d’avoir des points d’appui le plus près possible de la côte. Vis sera l’île à partir de laquelle ils pourront le mieux les aider. Ils y envoient donc des hommes, des armes et des munitions et surtout aménagent un aérodrome dans une vallée de l’île qui permettra d’attaquer les troupes allemandes.
Vis sera donc le meilleur endroit d’où les alliés lancent des vedettes lance torpilles qui détruisent les bases et les navires ennemis et assurent la sécurité en Adriatique. Tito bénéficie ainsi d’une aide précieuse qui lui permet de détruire systématiquement les troupes adverses et lui assure le contrôle sur le pays. Dans ce cas, Vis a joué un rôle non négligeable dans la guerre dans les Balkans.
Une fois la paix revenue en Méditerranée, les îles continuent d’assurer le contrôle de la navigation commerciale entre le nord et le sud, l’est et l’ouest. Leur rôle revient au premier plan quand les Britanniques et les Français décident de répliquer à Nasser qui a nationalisé en 1956 la Compagnie Universelle du canal de Suez.
En effet, Chypre devient alors la base avancée de l’Etat Major anglo-français d’où partiront les parachutistes qui prendront le contrôle du canal en octobre. C’est là que se concentrent les navires et les avions chargés de soutenir les troupes au sol. Une fois Nasser écrasé militairement, le canal qui a été évacué depuis 1954 n’exige plus d’être surveillé par les Britanniques d’autant plus qu’à partir de 1950 ces derniers ont abandonné l’Inde et ont replié leurs troupes d’Afrique orientale.
Ce réaménagement stratégique a plusieurs conséquences : ni Malte, ni Chypre n’ont d’utilité pour Londres ; en revanche, l’extension de l’OTAN et la nouvelle politique américaine en Méditerranée et au Proche-Orient entraînent une nouvelle stratégie et une nouvelle politique dirigée désormais par les Etats Unis. Celle-ci donne à l’Italie, à Naples d’abord, à la Turquie associée à Israël, à l’Iran et à l’Arabie saoudite ensuite, la place la plus importante.
Les îles et surtout Malte n’ont plus de fonction essentielle, puisque la Grèce est passée dans l’orbite américaine. La Méditerranée orientale est verrouillée par la Grèce et la Turquie, contre toute offensive soviétique vers la Méditerranée. Du jour où les Etats-Unis possèderont les missiles intercontinentaux le sens de la stratégie a changé.
Ainsi, 1945 marque un tournant dans le rôle stratégique des îles en Méditerranée ; à cette date, les Etats-Unis ont pris le relais de la Grande Bretagne : c’est vrai pour la Grèce et aussi pour la Turquie, successeur de l’Empire ottoman. Mais leur stratégie est radicalement différente de celle des Britanniques, car l’adversaire est désormais l’URSS qui a succédé à la Russie et l’enjeu n’est plus l’Inde mais le pétrole du Proche-Orient (Irak, Iran, Arabie saoudite).
L’instrument américain de la dissuasion est l’OTAN et les différents pactes signés avec les différents états de la région avec pour points d’appui majeurs, la Turquie, l’Iran, limitrophes de l’URSS, Israël et l’Arabie saoudite fournisseur d’un pétrole accaparé par les sociétés américaines. Une flotte américaine spécifique est envoyée en Méditerranée dont le haut commandement est à Naples avec des bases dispersées dont les principales se trouvent dans le bassin oriental.
Malte ne joue donc plus le rôle qu’elle avait dans le passé ; en effet, sa fonction n’avait de sens que dans la mesure où la Grande-Bretagne était une puissance impériale et avait pour objectif de défendre la perle de l’Empire, l’Inde devenue indépendante en 1948. La fonction stratégique était liée à la fonction coloniale des Britanniques. Or, ceux-ci révisent leur stratégie générale et replient leurs forces d’abord en Afrique orientale puis en 1954 quand ils évacuent la zone du canal de Suez et en rapatrient leurs soldats. Malte et Chypre n’ont donc plus aucune utilité pour eux.
Cette révision de la géopolitique en Méditerranée correspond d’abord à l’effacement de la Grande Bretagne épuisée par la deuxième guerre mondiale, ensuite à l’essor de la décolonisation en Asie, en troisième lieu à l’installation américaine qui répond à un nouvel équilibre international avec l’URSS, l’autre vainqueur de la guerre. Celle-ci a poussé ses pions dans les Balkans où les résistants communistes ont pris le pouvoir en Yougoslavie. Que reste-t-il aux îles sinon de retrouver, et encore, leur vocation commerciale ?
C’est bien l’évolution de Malte et de Chypre. En effet, la première devient le port d’attache de nombreux tankers dont les armateurs ont installé leur siège social à Malte ; on sait le danger que ces pétroliers font courir à la Méditerranée et à toutes les mers, mais ils correspondent à la stratégie commerciale des grandes sociétés pétrolières dont le profit est l’objectif le plus clair, car les armateurs ne sont soumis à aucune contrainte sociale ou navale ; l’île est devenue un lieu de liberté pour le capitalisme libéral : il lui suffit de prélever des taxes minimes puisque sa population est peu nombreuse…
Chypre a imité Malte, à une moindre échelle dans ce domaine. En revanche, elle a servi de relais aux opérations frauduleuses de certains entrepreneurs russes qui,après 1989, ont fait évader des capitaux importants que les banques chypriotes ont su blanchir. Dans le jeu financier international l’île est un peu le Monaco du bassin oriental. C’est un nouvel aspect de la circulation en Méditerranée.
Quel sera l’avenir de ces îles ? Celui de points de passage pour les trafics, c’est une autre forme du commerce légal, intercontinentaux ? À l’ère des satellites militaires, leur fonction stratégique est devenue dérisoire ; en revanche, leur utilité comme relais dans le jeu du capitalisme international est évidente car pas mal de monde y trouve son compte, aussi bien les mafias que les grandes puissances ou certains chefs d’entreprise. _____
M.
